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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/258

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la lourdeur allemande. Et, à fin d’analyse, on ne peut s’empêcher de l’estimer sans pouvoir s’en passionner.

Genève a aussi sa mélancolie spéciale, qui est celle, oserais-je dire, d’une femme trop vertueuse. Venise attriste comme une courtisane vieillie qui compte les joyaux de sa jeunesse ; Vienne a quelque chose d’une archiduchesse qui aurait mal tourné ; Londres est une pâle garce détraquée qui boit trop de whisky, et qui fume pour se cacher le soleil. Mais Genève !… Vous connaissez comme moi l’expression d’infini regret qui alanguit le regard des femmes qui furent trop fidèles à leurs devoirs. Ces vierges sages ont l’air de mendier la passion comme leurs sœurs les folles mendient l’estime. Ainsi Genève me semble triste de sa séculaire honnêteté. Elle ne connaît ni éclats ni élans. Elle n’a jamais vu rouge. Son noble drapeau n’est teint que du sang des blessés à qui elle a porté secours. La Croix de Genève ne flotte sur les champs de bataille qu’en signe de miséricorde, de pardon et de fraternité.

Aussi, Genève ne voudrait-elle pas, malgré quelques secrets de son cœur, qu’on l’aimât comme une maîtresse. Il faut la respecter, vous dis-je comme une sœur de charité protestante.