Aller au contenu

Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des cloches, crever, bleues, roses ou jaunes, parmi les gloires, les pompes et les triomphes d’un crépuscule où semblent vibrer de longues trompettes d’or aux lèvres des Victoires que peignit Veronèse.

III

Une nuit, sur la lagune, nos deux gondoles nous portaient au long des murs de l’hospice des fous, par le chenal où les cadavres des noyés de Venise vont vers la mer. Il faisait chaud comme l’haleine d’une femme amoureuse et noir comme l’âme d’une tombe oubliée. Parfois, au ras des eaux, de lourds éclairs pourpres palpitaient, révélant, en intermittente illumination, des villes pâlement accroupies sur leurs îlots. Et selon le jeu des ténèbres et de la foudre, la gondole qui nous suivait dressait à mes yeux une proue teinte de sang ou s’engloutissait dans le néant, comme si elle portait lourdement sur quelque Styx des âmes mortes de trop de volupté, de trop de désespoir ou de trop de souvenirs.

IV

Dans la ville nocturne qui sent la friture, le citron et l’urine, elle passe et repasse, les yeux énormes dans une petite face pâle qu’écrase la