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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/94

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LES REVENANTS

À l’heure où va s’éteindre, après le soleil, chaque flamme,
Quand tout, l’effroi de l’air, l’émoi de l’eau, la peur de l’âme
N’est que le frisson qui saisit la vie avant la mort
Ou le son qui vibre et se prolonge avant le silence,
N’as-tu pas senti dans l’ombre la présence du Sort
Qui pesait, sans mot dire, ton passé dans sa balance ?

N’as-tu pas entendu, dans un demi-rêve, des clefs
Ouvrir la tombe où les secrets du monde sont scellés ?
Ne t’es-tu pas endormi sous le souffle des fantômes
Qui frôlent, la nuit, la chair de l’homme débile et nu ?
N’as-tu pas franchi, craintif, la frontière des royaumes
Où tes yeux contemplèrent la face de l’Inconnu ?

Ô dormeur, pourquoi te souviens-tu de rois et de reines
Morts sur des trônes d’or ou des galères souveraines
Parmi des archipels de monts verts et de flots amers
Que n’éclairèrent certes pas les astres que tu nommes,
— Rois dont les sceptres ont soumis les terres et les mers,
Reines sanglantes de l’amour de tant de dieux et d’hommes ?