Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/346

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ne lui procurant aucun soulagement, il fit venir ce prince, et mourut sous ses yeux à Baies, le six des ides de juillet. Adrien, détesté de tout le monde, fut enterré à Pouzzoles, dans la villa de Cicéron. Craignant, aux approches mêmes de la mort, que Servien, âgé, comme il a été dit plus haut, de quatre-vingt-dix ans, ne lui survécût et n’occupât le trône, il le força de mourir. Il ordonna aussi, pour des fautes légères, le supplice de plusieurs citoyens, qu’Antonin sauva. On dit qu’il fit, en mourant, les vers que voici : « Ma petite âme, ma mignonne, Tu t’en vas donc, ma fille, et Dieu sache où tu vas ! Tu pars seulette et tremblottante ! Hélas ! Que deviendra ton humeur folichonne ? Que deviendront tant de jolis ébats ? »

Il en faisait aussi en grec, qui ne valaient pas beaucoup mieux que ceux-là.

XXIV.

Adrien vécut soixante et douze ans, cinq mois et dix-sept jours. Il régna vingt et un ans et onze mois. Il était de grande taille et bien fait ; il avait les cheveux arrangés avec art, et une longue barbe, qui cachait quelques plaies naturelles qu’il avait au visage : du reste, assez de vigueur. Il montait souvent à cheval, et marchait aussi beaucoup. Il s’exerça toujours au maniement des armes et au javelot. On le vit fort souvent, à la chasse, tuer de sa main un lion ; mais il s’y rompit, un jour, la clavicule et une côte. Il partageait toujours sa chasse avec ses amis. Il ne donnait point de repas où l’on n’entendît, suivant les circonstances, des tragédies, des atellanes, des joueurs de harpe, des lecteurs, des poètes. Il orna d’édifices admirables sa villa de Tibur : on y voyait les noms des provinces et des lieux les plus célèbres, tels que le Lycée, l’Académie, le Prytanée, Canope, le Pécile, Tempé. Ne voulant rien omettre, il y fit même représenter le séjour des ombres.

Voici quels furent les signes avant-coureurs de sa mort. Au dernier anniversaire de sa naissance, pendant qu’il faisait des vœux solennels pour Antonin, sa prétexte, se détachant d’elle-même, laissa sa tête à nu. L’anneau sur lequel était gravée son image tomba de son doigt. La veille de cet anniversaire, on ne sait qui vint au sénat en hurlant : Adrien en fut épouvanté, comme si cette voix, où personne ne distinguait un seul mot, lui eût annoncé sa fin. Voulant dire, dans le sénat, « Après la mort de mon fils, » il dit : « Après ma mort. » Il rêva aussi que son père lui donnait une boisson assoupissante, et une autre fois, qu’un lion l’étouffait.

XXV.

Beaucoup de personnes, après sa mort, en dirent beaucoup de mal. Le sénat voulut annuler ses actes, et ne lui accorda les honneurs de l’apothéose que sur les instances de son successeur. Antonin lui fit bâtir un temple à Pouzzoles, au lieu d’un tombeau. Il institua en sa mémoire un concours quinquennal, lui donna des flammes et un collège de prètres, lui rendit, en un mot, des honneurs qui tenaient du culte divin, et qui, selon la plupart des auteurs, lui méritèrent, comme nous l’avons dit, le surnom de Pieux.