Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/380

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même nous le voudrions ; car vous savez le mot de votre bisaïeul : « Nul prince n’a tué son successeur. » Si, au contraire, il ne doit pas régner, il trouvera sa perte dans ses entreprises mêmes, sans que nous recourions à des mesures cruelles. Ajoutez à ces raisons que nous ne pouvons pas faire un criminel d’un homme que personne n’accuse, et qui, ainsi que vous le dites vous-même, est aimé des soldats. Enfin, telle est la nature des crimes d’état, que ceux même qui en sont convaincus passent toujours pour opprimés. Je vous rappellerai aussi ce que disait votre aïeul Adrien : « Quelle misérable condition que celle des princes ! On ne les croit sur les complots de leurs ennemis que quand ils en ont péri victimes. » Domitien l’avait dit avant lui : mais j’ai mieux aimé vous citer Adrien, parce que les meilleures maximes perdent leur autorité dans la bouche des tyrans. Laissons donc sa conduite pour ce qu’elle est, puisque d’ailleurs nous avons en lui un général excellent, ferme, courageux, nécessaire à la république. Pour ce que vous me dites, de pourvoir par sa mort à la sûreté de mes enfants, qu’ils périssent donc, si Avidius mérite plus qu’eux d’être aimé, si le bien de l’État exige que Cassius vive plutôt que les enfants de Marc-Aurèle. »

III.

Telle était sur Cassius l’opinion de Vérus ; telle était celle de Marc-Aurèle. Nous peindrons maintenant, en peu de mots, son caractère et ses mœurs, parce que l’on ne peut rassembler beaucoup de détails sur des hommes dont personne n’ose écrire la vie, à cause de leurs vainqueurs. Nous dirons comment celui-ci parvint à l’empire, comment il fut tué, où il fut vaincu. Car voulant vous faire connaître, illustre Dioclétien, tous les Augustes que l’on a revêtus de la pourpre, je dois parler de tous ceux qui ont porté, à bon droit ou injustement, le nom d’empereurs.

Cassius avait parfois l’air dur et cruel, et parfois doux et bon ; il affectait tantôt de la piété, tantôt du mépris pour la religion ; il aimait le vin avec passion, et il savait s’en abstenir ; il recherchait la bonne chère, et il pouvait supporter la faim ; il aimait les femmes, et il savait aussi être chaste. Quelques personnes le nommèrent Catilina, et il aimait à s’entendre appeler ainsi, disant qu’il le serait en effet, s’il parvenait à tuer le dialogiste ; nom qu’il donnait à Antonin. Ce prince avait tant de réputation comme philosophe, qu’au moment de partir pour la guerre des Marcomans, où l’on craignait qu’il ne perdît la vie, il se vit prié, non par flatterie, mais sérieusement, de publier ses préceptes de philosophie. Il ne partageait pas ces craintes ; mais il déclama, pendant trois jours, une suite d’exhortations ou de préceptes. Avidius Cassius fut, en outre, un rigide observateur de la discipline militaire : il voulait passer pour un second Marius.

IV.

Disons, puisque nous avons commencé à parler de sa sévérité, qu’elle tenait plus de la cruauté que de la rigueur. Il fut le premier qui fit mettre en croix les soldats sur les lieux même où ils avaient commis quelques violences envers les habitants des provinces. Il inventa aussi un genre de supplice qui consistait à attacher, depuis le haut jusqu’en bas, à un pieu fiché en terre et haut de quatre-vingts ou de cent pieds, ceux qu’il avait condamnés ; on allumait ensuite un grand feu à la base de ce pieu, et ces malheureux périssaient les uns par les flammes, les autres par la fumée, et le reste d’épouvante.