Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à réparer les maux du dernier règne, soupçonnait Julien d’avoir conseillé le meurtre de ce prince. Aussi les ennemis de Julien commencèrent-ils par faire courir le bruit que, voulant, dès le premier jour, se moquer de la frugalité de Pertinax, il avait donné un festin des plus somptueux, où l’on avait servi des huitres, des viandes délicates, et des poissons. Rien n’était plus faux ; car Julien poussait, dit-on, la parcimonie jusqu’à se nourrir pendant trois jours d’un cochon de lait, et pendant trois jours d’un lièvre, quand, par hasard, on lui en avait envoyé. On le vit aussi, les jours même où la religion n’en faisait pas un devoir, diner sans viande, avec des légumes et des fruits. Enfin il ne dina pas avant les obsèques de Pertinax; cette mort rendit son repas fort triste, et il passa toute la nuit à veiller, plein d’inquiétude au milieu de ces difficiles conjonctures.

IV.

Dès le point du jour il reçut les sénateurs et les chevaliers qui s’étaient rendus au palais, et il leur fit l’accueil le plus flatteur, donnant à chacun d’eux, suivant son âge, les noms de frère, de fils ou de père. Cependant le peuple, envahissant les Rostres et la salle du sénat, accablait d’injures le nouveau prince, et se flattait de pouvoir aussi disposer de l’empire, que les soldats venaient de donner. Julien faillit être lapidé et lorsqu’il descendit vers la salle du sénat avec les soldats et les sénateurs, il fut poursuivi par les malédictions de la foule : on alla jusqu’à souhaiter que le sacrifice accoutumé ne donnât pas d’heureux présages. Les plus furieux lui jetèrent des pierres, tandis qu’il tâchait de Îles apaiser du geste. Il prononça dans le sénat des paroles pleines de modération et de prudence. Il rendit grâces à cette assemblée, pour son élection; il la remercia de lui avoir donné le nom d’Auguste, ainsi qu’à sa femme et à sa fille; il accepta le titre de Père de la patrie, et refusa une statue d’argent. Le peuple l’attaqua de nouveau, comme il se rendait du sénat au Capitole ; mais l’emploi des armes, quelques blessures, enfin des pièces d’or promises à la foule, et que Julien lui-même agitait dans ses mains, pour la convaincre, finirent par la dissiper et l’éloigner. De là, il se rendit au spectacle du cirque ; mais il y trouva tous les sièges indistinctement occupés, et il fut encore l’objet des insultes du peuple, qui appela même au secours de Rome Pescennius Niger, qu’on disait déjà empereur. Julien souffrit patiemment tous ces outrages : il montra aussi beaucoup de douceur pendant son règne. Le peuple était furieux contre les soldats, qui avaient tué Pertinax pour de l’argent. Julien, pour se concilier la faveur du peuple[1], rétablit plusieurs usages introduits par Commode et supprimés par Pertinax. Il ne fit rien pour la mémoire de cet empereur : ce qui parut un crime à beaucoup de personnes ; et,:par ménagement pour les soldats, il se garda de parler de lui avec éloge.

V.

Julien ne craignait ni les armées de Bretagne ni celles d’Illyrie; mais, redoutant les légions de Syrie, il y envoya un primipilaire, chargé de tuer Niger. Pescennius Niger et Septime Sévère se révoltèrent donc avec les armées dont ils avaient le commandement, l’un en Syrie, et l’autre en Illyrie. A la nouvelle de la défection de Sévère, dont il n’avait pas suspecté la fidélité, Julien courut,

  1. L’auteur n’entend sans doute ici, par ce mot, qu’une petite partie du peuple; car lui-même et Capitolin, dans la vie précédente, ont dit, et souvent, que le peuple aimait Pertinax et haïssait Commode.