Page:Suarès - Sur la mort de mon frère.djvu/145

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pour nous, qui ne sommes pas qu’un cristal, un atome en vaut un autre. Toute la variété, pour nous, c’est le cœur qui la fait ; le seul abîme, nous le trouvons entre un cœur et un autre. Ce parfum de l’harmonie vivante, que nous appelons l’âme, voilà ce que le monde des atomes confond dans le tourbillon des ténèbres communes, et ce qui fait pourtant le prix d’un être pour nous.

Je déteste, comme le monstre où je suis destiné et qui m’a pris tout ce que j’aime, ce gouffre de boue, le tourbillon des ténèbres. Je voudrais, du moins, que le néant succédât d’un seul coup au rêve. Pour nous et pour tout ce que nous aimons, notre mère sans pitié n’a pas aboli la torture. Aspirés d’un trait par le centre tournoyant de l’ombre, que ne sommes-nous pas anéantis en un instant ?