Page:Suarès - Tolstoï.djvu/35

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l’orgueil de Tolstoï est sûr de lui et se déclare sans égards, moins Tolstoï lui est sévère. Et il y aurait bien lieu de s’en étonner, comme d’une singularité morale tout à fait contraire à l’idée qu’on se fait d’un saint, d’un chrétien, ou seulement d’un sage, si ce trait n’était précisément le plus propre à marquer le véritable caractère de cet orgueil.

Au début de sa vie, Tolstoï rougit de son amour-propre. Plus tard, il en souffre. Il est si loin de la vanité, qu’il ne craint pas, souvent, d’en avoir l’apparence. En quoi il fait bien : il n’y a qu’un petit homme, pour se tromper si grossièrement, et trouver de sa vanité dans ces grands orgueilleux. Jamais on ne surprend Lévine, ni Bésoukhow, satisfaits d’avoir raison. Ils sont déterminés critiques, et ruinent les opinions des autres, par besoin d’y voir clair et d’être sincères avec eux-mêmes. Mais ils ne se savent point gré de le faire. Ils en souffrent plutôt ; et même, quand ils semblent intraitables aux gens de leur société, fiers de penser à l’encontre de tout le monde, ils n’en sentent en secret aucun contentement. On les tient orgueilleux ; et, se défendant de l’être, ils souffrent surtout de ne l’être pas.