Page:Suarès - Tolstoï.djvu/36

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Est-ce donc que Tolstoï aime tant l’orgueil ? — En rien : il en sait la malice ; il en a éprouvé les douloureuses chances, et ces maux qui vont jusques aux fureurs convulsives ; son esprit enfin, avant d’en être purifié par l’Évangile, ne lui laisse ignorer aucun inconvénient de cette passion. Mais il voudrait la sentir en lui, pour être sûr qu’il en sent la cause. Il voudrait avoir l’orgueil qui, en un homme de sa sorte, n’est qu’un effet de la certitude d’avoir raison. Pour tout dire, l’orgueil de Tolstoï se réduit à la conscience nette de la vérité. Cet orgueil étrange est un témoin de la foi.

Voilà pourquoi Tolstoï se reprochait ce qui y ressemble, et combattait l’amour-propre en lui ; — et voilà pourquoi il lui donne carrière dans toute sa force, et ne semble pas se soucier d’en modérer seulement l’éclat. Il n’est pas facile aux hommes d’aujourd’hui d’entendre un orgueil, d’autant plus violent, que l’orgueilleux croit y mettre moins de lui-même. La foi conseille l’humilité, et même la commande. Mais cette foi est celle qui procède de la Grâce, et d’un don bénévole, de l’octroi de Dieu. Or, il n’y a ni grâce, ni don accordé à la prière dans la foi de Tolstoï. Je l’ai déjà dit : sa foi est