Page:Suarès - Tolstoï.djvu/48

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ferme sur la vie : car, il ne saurait vouloir, à moins de tenir le vrai. Tolstoï, avec cette perfection d’art que la réflexion seule aperçoit, a fait de Bésoukhow un homme timide et gauche, taillé en colosse. Il est propre à tout ; mais il semble emprisonné dans sa lourde et puissante nature. Il est faible en apparence, obéissant, presque endormi : mais vienne un grand devoir, vienne la nécessité d’agir, — et l’on sent quel ressort meut cette masse. Il se fera voir, alors, puissant en dévouement, en amour, en exquise délicatesse ; et il a la vertu suprême des cœurs sans défaut : un intime et irrésistible courage. En lui, c’est vraiment la Russie qui prend conscience de soi. Il rejette pour elles les croyances étrangères, après les avoir tentées toutes : essai loyal jusqu’à la naïveté et la maladresse, mais qui ne pouvait suffire.

Au jour du danger, on ne doit se guider que sur soi, — et non sur l’exemple des autres, fût-ce des plus excellents. Comme Bésoukhow, la Russie, au moment de la catastrophe, après avoir tant attendu des généraux et des diplomates, de Stein et de Barclay, des ministres et du tsar même, tourne enfin les yeux sur le moujik, et le paysan