Page:Suarès - Tolstoï.djvu/69

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l’expérience de la charité commune, des aumônes et de la philanthropie. Il y a touché du doigt la plus perverse vanité du monde : car où en est-il une plus fausse, plus riche en erreur, plus satisfaite d’errer ? Elle nuit à celui qui la fait, comme elle déprave celui à qui elle est faite. Elle est ce comble de mensonge, où il se crève les yeux pour ne point voir. Elle agit au nom de l’amour, et n’engendre que la honte et la haine. Peu s’en faut que la philanthropie d’habitude ne soit la maîtresse erreur de ce monde. La main y est pour trop, où le cœur n’y est pas pour assez ; de là, ce fatal divorce, où l’on finit par faire le bien, sans la moindre bonté.

Tout au moins, Tolstoï a bien raison de soutenir que la meilleure aumône est la moins calculée. Et, quant à en faire un moyen social, il n’a pas tort d’y démasquer une hypocrisie trop forte. Il est vain, en effet, de se flatter qu’une société malade, où l’aumône est mise à nu de la sorte dans ses infirmités, puisse se guérir par l’aumône. Mais si Tolstoï était plus sensible à la douceur du cœur humain, s’il goûtait mieux les pleurs de la tendresse, il ne se soucierait pas tant du bien social, ni de la vérité pratique.