Page:Sue - Arthur, T1, 1845.djvu/79

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J’avais toujours beaucoup redouté mon père. Son esprit était vaste, sérieux, réfléchi, concentré, et çà et là, par accès, froidement ironique ; son savoir prodigieux en toutes sortes de matières, son caractère absolu, ses habitudes graves, pensives et taciturnes, son abord glacial, ses principes d’une rare solidité, sa bonté pour moi extrême en fait, mais nullement démonstrative : aussi m’inspirait-il plutôt une vénération profonde et craintive, une gratitude respectueuse, qu’une affection confiante et expansive, comme celle que je ressentais pour ma mère.

Ayant quitté le service de bonne heure, malgré les instances de Napoléon, qui aimait sa volonté de fer et son infatigable activité, mon père avait presque toujours vécu dans ses terres, mais, chose étrange ! sans jamais y recevoir personne. La terreur de 93 avait tellement diminué notre famille, qu’excepté une sœur de mon père, nous n’avions plus de parents, mais seulement des alliés fort éloignés, que nous ne voyions pas.

Maintenant que l’âge et l’expérience me permettent d’apprécier et de comparer mes souvenirs, mon père reste à mes yeux le seul homme véritablement misanthrope que j’aie jamais ren-