Page:Sue - Arthur, T1, 1845.djvu/97

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fortune considérable. Puis j’éprouvai aussi un sentiment d’angoisse inexprimable en songeant que je restais désormais sans aucun appui naturel ; erreur ou sagesse, vice ou vertu, gloire ou obscurité, ma vie ne devait plus émouvoir personne ; d’ailleurs, l’existence excentrique de mon père l’avait depuis si longtemps isolé de toute société, que j’avais même à entrer presque en étranger dans le monde, que ma position m’appelait à voir ; l’avenir me semblait alors un désert immense, sillonné de mille sentiers divers ; mais aucun souvenir, aucun intérêt, aucun patronage de famille ou de caste ne me désignait ma route.

Comme toujours, grâce à la marche du temps, cette impression devait se modifier, puis se contrarier radicalement ; mais la transition fut longue.

Plus tard, cette sorte de terreur se mêla d’une nuance d’orgueil, alors que je songeai que les grands domaines de notre famille m’appartenaient ; et, si le fardeau de les régir me paraissait lourd, cet embarras avait en lui-même sa compensation.

Très-jeune, j’avais déjà machinalement l’habitude de me regarder pour ainsi dire penser ; aussi, lorsque je vis ma sombre douleur et mon