Page:Sue - Arthur, T1, 1845.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

profond abattement se colorer de ces premières lueurs de personnalité, je frémis et je me rappelai ces mots terribles de mon père mourant : « Vous êtes généreux et bon, vous m’aimez tendrement, et cependant, plus ou moins de temps après ma mort, vous en viendrez à me moins regretter, puis à vous consoler absolument, et à m’oublier tout à fait. »

On raconte plusieurs exemples de gens auxquels on avait prédit une fin tragique et prématurée, et qui, poussés par une inexplicable fatalité, se chargeaient eux-mêmes de réaliser ces fatales prédictions. Il en est, je crois, de même de certaines idées que vous pressentez quoiqu’elles vous soient odieuses, contre lesquelles vous vous débattez en vain, et auxquelles vous finissez pourtant par obéir ; il en fut ainsi de la prédiction de mon père : je la combattis longtemps et j’y cédai.

Mais celle lutte fut certainement un des plus douloureux instants de ma vie ; reconnaître peu à peu l’effroyable vanité de nos regrets, se cruellement convaincre de cette formidable vulgarité : — que les sentiments les plus profondément enracinés dans le cœur par la nature s’éteignent, se flétrissent, meurent et s’effacent sous le souffle glacé du temps : — de telles