Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/6

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répandre le sang de ton fils ! dit le cacou, qui était à genoux et absorbé dans une profonde méditation. N’entends-tu pas ?… — J’entends le bruit des vagues qui frappent ce rocher, et le sifflement de la tempête. — Dis plutôt la voix des trépassés. Par saint Jean du doigt ! c’est aujourd’hui le jour des morts, femme, et les naufragés que nous avons… (ici une pause), pourraient bien venir traîner à notre porte le cariquet-ancou, avec ses draps blancs et ses larmes rouges, répondit le cacou d’une voix basse et tremblante. — Bah ! que pouvons-nous craindre ? Pen-Ouët est idiot ; ne sais-tu pas que les mauvais esprits n’approchent jamais du toit qui abrite un fou ? Jan et son feu qui tourne avec autant de rapidité que le dévidoir d’une vieille femme, Jan et son feu s’enfuiraient à la voix de Pen-Ouët comme une mouette devant le chasseur. Ainsi, que crains-tu ? — Alors, pourquoi, depuis le dernier naufrage, tu sais, ce lougre qui échoua sur la côte, attiré par nos signaux trompeurs… pourquoi ai-je une fièvre ardente, des rêves affreux ? En vain j’ai bu trois fois, à l’heure de minuit, de l’eau de la fontaine de Krinoë ; en vain je me suis frotté de la graisse d’un goëland tué un vendredi, rien, rien n’a pu me calmer. La nuit, j’ai peur ! Ah ! femme, femme, tu l’as voulu !