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Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/132

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— Jamais, m’a-t-il dit, il n’en avait couru un plus grand… car lorsqu’il vit l’artilleur mettre le feu à la pièce, le coup partait… mais au même instant, un homme de haute taille, vêtu en paysan, et que votre père jusqu’alors n’avait pas remarqué, se jette au-devant du canon…

— Ah ! le malheureux… quelle mort horrible !

— Oui, reprit Dagobert d’un air pensif. Cela devait arriver… Il devait être broyé en mille morceaux… Et pourtant il n’en a rien été.

— Que dis-tu !

— Ce que m’a dit le général. « Au moment où le coup partit, m’a-t-il répété souvent, par un mouvement d’horreur involontaire, je fermai les yeux pour ne pas voir le cadavre mutilé de ce malheureux qui s’était sacrifié à ma place… Quand je les rouvre, qu’est-ce que j’aperçois au milieu de la fumée ? toujours cet homme de grande taille, debout et calme au même endroit, jetant un regard triste et doux sur l’artilleur qui, un genou en terre, le corps renversé en arrière, le regardait aussi épouvanté que s’il eût vu le démon en personne ; puis le mouvement de la bataille ayant continué, il m’a été impossible de retrouver cet homme… » a ajouté votre père.