Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/150

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l’étranger ; malheureusement, le pauvre prince a perdu depuis plusieurs années cette femme qu’il adorait.

« Tiens, mon Éva bien-aimée, ma main tremble en écrivant ces mots, je suis faible, je suis fou… mais, hélas ! mon cœur se serre, se brise… si un pareil malheur m’arrivait !… Oh mon Dieu ! et notre enfant… que deviendrait-il sans toi… sans moi… dans ce pays barbare ?… Non ! non ! cette crainte est insensée… Mais quelle horrible torture que l’incertitude !… Car enfin, où es-tu ? que fais-tu ? que deviens-tu ?… Pardon… de ces noires pensées… souvent elles me dominent malgré moi… Moments funestes… affreux… car, lorsqu’ils ne m’obsèdent pas, je me dis : Je suis proscrit, malheureux ; mais au moins, à l’autre bout du monde, deux cœurs battent pour moi, le tien, mon Éva, et celui de notre enfant… »

Rose put à peine achever ces derniers mots ; depuis quelques instants, sa voix était entrecoupée de sanglots.

Il y avait en effet un douloureux accord entre les craintes du général Simon et la triste réalité ; et puis, quoi de plus touchant que ces confidences écrites le soir d’une bataille, au feu du bivac, par le soldat qui tâchait de tromper ainsi le chagrin d’une séparation si pénible,