Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/212

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— Je ne le sais pas, M. le bourgmestre, mais…

— Vous ne le savez pas… Eh bien ! ni moi non plus, dit impatiemment le bourgmestre. Ah ! mon Dieu ! que de sottes paroles pour une carcasse de cheval mort !

Le visage du soldat, perdant tout à coup son expression d’aménité forcée, redevint sévère ; il répondit d’une voix grave et émue :

— Mon cheval est mort…, ce n’est plus qu’une carcasse, c’est vrai, et il y a une heure, quoique bien vieux, il était plein de courage et d’intelligence… Il hennissait joyeusement à ma voix… et chaque soir il léchait les mains des deux pauvres enfants qu’il avait portées tout le jour… comme autrefois il avait porté leur mère… Maintenant il ne portera plus personne, on le jettera à la voirie, les chiens le mangeront, et tout sera dit… Ce n’était pas la peine de me rappeler cela durement, M. le bourgmestre, car je l’aimais, moi, mon cheval !

À ces mots, prononcés avec une simplicité digne et touchante, le bourgmestre, ému malgré lui, se reprocha ses paroles.

— Je comprends que vous regrettiez votre cheval, dit-il d’une voix moins impatientée. Mais enfin, que voulez-vous ? c’est un malheur.