Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/213

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— Un malheur… oui, M. le bourgmestre, un bien grand malheur ; les jeunes filles que j’accompagne étaient trop faibles pour entreprendre une longue route à pied, trop pauvres pour voyager en voiture… Pourtant il fallait que nous arrivassions à Paris avant le mois de février… Quand leur mère est morte, je lui ai promis de les conduire en France, car ces enfants n’ont plus que moi.

— Vous êtes donc leur…

— Je suis leur fidèle serviteur, M. le bourgmestre, et maintenant que mon cheval a été tué, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Voyons, vous êtes bon, vous avez peut-être des enfants ? Si un jour ils se trouvaient dans la position de mes deux petites orphelines, ayant pour tout bien, pour toutes ressources au monde… un vieux soldat qui les aime et un vieux cheval qui les porte… si après avoir été bien malheureuses depuis leur naissance, oui, allez ! bien malheureuses, car mes orphelines sont filles d’exilés… leur bonheur se trouvait au bout de ce voyage, et que par la mort d’un cheval, ce voyage devînt impossible ? dites, M. le bourgmestre, est-ce que ça ne vous remuerait pas le fond du cœur ? est-ce que vous ne trouveriez pas comme moi que la perte de mon cheval est irréparable ?