Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/46

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secouait parfois sa vieille bride militaire, dont la bossette de cuivre offrait encore une aigle en relief ; son allure était régulière, prudente et ferme ; son poil vif, son embonpoint médiocre ; l’abondante écume qui couvrait son mors témoignaient de cette santé que les chevaux acquièrent par le travail continu, mais modéré, d’un long voyage à petites journées ; quoiqu’il fût en route depuis plus de six mois, ce pauvre animal portait aussi allègrement qu’au départ les deux orphelines et une assez lourde valise attachée derrière leur selle.

Si nous avons parlé de la longueur démesurée des dents de ce cheval (signe irrécusable de grande vieillesse), c’est qu’il les montrait souvent dans l’unique but de rester fidèle à son nom (il se nommait Jovial) et de faire une assez mauvaise plaisanterie, dont le chien était victime.

Ce dernier, sans doute par contraste, nommé Rabat-Joie, ne quittant pas les talons de son maître, se trouvait à la portée de Jovial, qui de temps à autre le prenait délicatement par la peau du dos, l’enlevait, et le portait ainsi quelques instants ; le chien, protégé par son épaisse toison, et sans doute habitué depuis longtemps aux facéties de son compagnon, s’y soumettait avec une complaisance stoïque ; seu-