Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/491

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fut instruit des essais poétiques de la Mayeux qui, du reste, grâce à sa timidité sauvage, passait pour sotte.

Il fallait que l’âme de cette infortunée fût grande et belle, car jamais dans ses chants ignorés il n’y eut un seul mot de colère ou de haine contre le sort fatal dont elle était victime ; c’était une plainte triste mais douce, désespérée mais résignée ; c’étaient surtout des accents d’une tendresse infinie, d’une sympathie douloureuse, d’une angélique charité pour tous les pauvres êtres voués comme elle au double fardeau de la laideur et de la misère.

Pourtant elle exprimait souvent une admiration naïve et sincère pour la beauté, et cela toujours sans envie, sans amertume ; elle admirait la beauté comme elle admirait le soleil…

Mais, hélas !… il y eut bien des vers de la Mayeux qu’Agricol ne connaissait pas, et qu’il ne devait jamais connaître ; le jeune forgeron, sans être régulièrement beau, avait une figure mâle et loyale, autant de bonté que de courage, un cœur noble, ardent, généreux, un esprit peu commun, une gaieté douce et franche.

La jeune fille, élevée avec lui, l’aima comme peut aimer une créature infortunée, qui, dans la crainte d’un ridicule atroce, est obligée de