Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/52

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tend, dit Dagobert ému, ne lui faites donc plus de chagrin en vous montrant tristes… Elle vous l’a défendu…

— Tu as raison, Dagobert.

— Nous n’aurons plus de chagrin.

Et les orphelines essuyèrent leurs yeux.

Dagobert, au point de vue dévot, était un vrai païen : en Espagne il avait sabré avec une extrême sensualité ces moines de toutes robes et de toutes couleurs, qui, portant le crucifix d’une main et le poignard de l’autre défendaient, non la liberté (l’inquisition la bâillonnait depuis des siècles), mais leurs monstrueux privilèges. Pourtant, Dagobert avait depuis quarante ans assisté à des spectacles d’une si terrible grandeur, il avait tant de fois vu la mort de près, que l’instinct de religion naturelle, commun à tous les cœurs simples et honnêtes, avait toujours surnagé dans son âme. Aussi quoiqu’il ne partageât point la consolante illusion des deux sœurs, il eût regardé comme un crime d’y porter la moindre atteinte.

Les voyant moins tristes, il reprit :

— À la bonne heure, mes enfants, j’aime mieux vous entendre babiller comme vous faisiez ce matin et hier… en riant sous cape, de temps à autre, et en ne me répondant pas à ce que je vous disais… tant vous étiez occu-