Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/58

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par un adroit charlatanisme, il attribuait à son récent état de grâce, un langage quelquefois mystique et solennel, une hypocrisie austère lui avaient donné une sorte d’influence sur les populations qu’il visitait souvent dans ses pérégrinations.

On se doute bien que, dès longtemps avant sa conversion, Morok s’était familiarisé avec les mœurs des bêtes sauvages… En effet, né dans le nord de la Sibérie, il avait été, jeune encore, l’un des plus hardis chasseurs d’ours et de rennes ; plus tard, en 1810, abandonnant cette profession, pour servir de guide à un ingénieur russe chargé d’explorations dans les régions polaires, il l’avait ensuite suivi à Saint-Pétersbourg ; là Morok, après quelques vicissitudes de fortune, fut employé parmi les courriers impériaux, automates de fer, que le moindre caprice du despote lance sur un frêle traîneau, dans l’immensité de l’empire, depuis la Perse jusqu’à la mer Glaciale. Pour ces gens, qui voyagent jour et nuit avec la rapidité de la foudre, il n’y a ni saisons, ni obstacles, ni fatigues, ni dangers ; projectiles humains, il faut qu’ils soient brisés ou qu’ils arrivent au but ; on conçoit dès lors l’audace, la vigueur et la résignation d’hommes habitués à une vie pareille.