Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/271

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— Descendez, Rabat-Joie… allez-vous-en…

Le fidèle animal hésita d’abord à obéir. Triste et suppliant, il regardait les orphelines d’un air de doux reproche, comme pour les blâmer de renvoyer leur seul défenseur. Mais à un nouvel ordre sévèrement donné par Blanche, Rabat-Joie descendit, la queue basse, du fiacre, sentant peut-être d’ailleurs qu’il s’était montré quelque peu cassant à l’endroit de Monsieur.

Madame Grivois, très-empressée de quitter le quartier, monta précipitamment dans la voiture ; le cocher referma la portière, grimpa sur son siège ; le fiacre partit rapidement, pendant que madame Grivois baissait prudemment les stores, de peur d’une rencontre avec Dagobert.

Ces indispensables précautions prises, elle put songer à Monsieur, qu’elle aimait tendrement, de cette affection profonde, exagérée, que les gens d’un méchant naturel ont quelquefois pour les animaux, car on dirait qu’ils épanchent et concentrent sur eux toute l’affection qu’ils devraient avoir pour autrui ; en un mot, madame Grivois s’était passionnément attachée à ce chien hargneux, lâche et méchant, peut-être à cause d’une secrète affinité pour ses défauts ; cet attachement durait depuis six ans et semblait augmenter à mesure que l’âge de Monsieur avançait.