Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/24

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Pourquoi ne pouvez-vous m’entendre davantage ?

— Je ne puis vous le dire, mon père, avant de vous avoir, moi aussi, rapidement exposé le passé… tel qu’il m’a été donné de le juger depuis quelque temps… Vous comprendrez alors, mon père, que je n’ai plus droit à vos confidences, car bientôt un abîme va nous séparer sans doute…

À ces mots de Gabriel, il est impossible de peindre le regard que Rodin et le père d’Aigrigny échangèrent rapidement ; le socius commença de ronger ses ongles en attachant son œil de reptile irrité sur Gabriel ; le père d’Aigrigny devint livide ; son front se couvrit d’une sueur froide. Il se demandait avec épouvante si, au moment de toucher au but, l’obstacle viendrait de Gabriel, en faveur de qui tous les obstacles avaient été écartés.

Cette pensée était désespérante. Pourtant le révérend père se contint admirablement, resta calme, et répondit avec une affectueuse onction :

— Il m’est impossible de croire, mon cher fils, que vous et moi soyons jamais séparés par un abîme… si ce n’est par l’abîme de douleurs que me causerait quelque grave atteinte portée à votre salut ;… mais… parlez… je vous écoute…