Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/26

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avec amertume ; aussi, trois jours après, pauvre enfant soumis et crédule, j’épiais naïvement mes camarades, écoutant, retenant leurs entretiens, et allant les rapporter au supérieur qui me félicitait de mon zèle… Ce que l’on me faisait faire était indigne… et pourtant, Dieu le sait, je croyais accomplir un devoir charitable ; j’étais heureux d’obéir aux ordres d’un supérieur que je respectais, et dont j’écoutais, dans ma foi enfantine, les paroles comme j’aurais écouté celles de Dieu… Plus tard… un jour que je m’étais rendu coupable d’une infraction à la règle de la maison, le supérieur me dit : « Mon enfant, vous avez mérité une punition sévère ; mais elle vous sera remise si vous parvenez à surprendre un de vos camarades dans la même faute que vous avez commise[1]… » Et de peur que, malgré ma foi et mon obéissance aveugles, cet encouragement à la délation basée sur l’intérêt personnel, ne me parût odieux, le supérieur ajouta : « Je vous parle, mon enfant, dans l’intérêt du salut de votre camarade ; car s’il échappait à la punition, il s’habituerait au mal par l’impunité ; or, en le surprenant en faute et en attirant sur lui un châtiment

  1. Ces obligations d’espionnage et ces abominables incitations à la délation sont la base de l’éducation donnée par les révérends pères.