Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/296

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— Pardonnez mon indiscrète et opiniâtre curiosité, monsieur ;… mais je voudrais savoir…

— Comment vous m’avez été… moralement révélée, n’est-ce pas ?… Mon Dieu ! ma chère demoiselle, rien n’est plus simple… En deux mots, voici le fait : l’abbé d’Aigrigny ne voyait en moi qu’une machine à écrire, un instrument obtus, muet et aveugle…

— Je croyais à M. d’Aigrigny plus de perspicacité.

— Et vous avez raison, ma chère demoiselle… c’est un homme d’une sagacité inouïe ;… mais je le trompais… en affectant plus que de la simplicité… Pour cela, n’allez pas me croire faux… Non… je suis fier… oui, fier… à ma manière… et ma fierté consiste à ne jamais paraître au-dessus de ma position, si subalterne qu’elle soit ! Savez-vous pourquoi ? C’est qu’alors, si hautains que soient mes supérieurs… je me dis : « Ils ignorent ma valeur ; ce n’est donc pas moi, c’est l’infériorité de la condition qu’ils humilient… » À cela, je gagne deux choses : mon amour-propre est à couvert, et je n’ai à haïr personne.

— Oui, je comprends cette sorte de fierté, dit Adrienne, de plus en plus frappée du tour original de l’esprit de Rodin.