Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/48

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viennent en demander la rémission au prêtre.

— Ce sont là des questions que vous n’êtes pas apte à juger, répondit brusquement le père d’Aigrigny.

— Je n’en parlerai plus, mon père, dit Gabriel.

Et il reprit :

— Une longue maladie succéda à cette nuit terrible ; plusieurs fois, me dit-on, l’on craignait que ma raison ne s’égarât. Lorsque je revins… le passé m’apparut comme un songe pénible… Vous me dîtes alors, mon père, que je n’étais pas encore mûr pour certaines fonctions… Ce fut alors que je vous demandai avec instance de partir pour les missions d’Amérique… Après avoir longtemps repoussé ma prière, vous avez consenti… Je partis… Depuis mon enfance, j’avais toujours vécu ou au collège ou au séminaire, dans un état de compression et de sujétion continuelle : à force de m’accoutumer à baisser la tête et les yeux, je m’étais pour ainsi dire déshabitué de contempler le ciel et les splendeurs de la nature… Aussi quel bonheur profond, religieux, je ressentis, lorsque je me trouvai tout à coup transporté au milieu des grandeurs imposantes de la mer, lorsque, pendant la traversée, je me vis entre l’Océan et le ciel ! Alors il me sembla que je sortais d’un lieu d’épaisses et lourdes ténèbres ; pour la première