Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 7-8.djvu/308

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foule, étrangement impressionnée par cet incident, se rapprochait peu à peu de la grille, sans oser la franchir.

— Frappez donc ! reprit Gabriel en s’adressant au carrier, et lui montrant la foule d’un geste solennel, voici les juges… et vous êtes le bourreau…

— Non, s’écria le carrier en se reculant et détournant les yeux, je ne suis pas le bourreau… moi !

La foule resta muette… Pendant quelques secondes, pas un mot, pas un cri, ne troubla le silence de l’imposante cathédrale.

Dans un cas désespéré, Gabriel avait agi avec une profonde connaissance du cœur humain.

Lorsque la multitude, égarée par une rage aveugle, se rue sur une victime en poussant des clameurs féroces, et que chacun frappe son coup, cette espèce d’épouvantable meurtre en commun semble à tous moins horrible, parce que tous en partagent la solidarité ;… puis les cris, la vue du sang, la défense désespérée de l’homme que l’on massacre, finissent par causer une sorte d’ivresse féroce. Mais que, parmi ces fous furieux qui ont trempé dans cet homicide, on en prenne un, qu’on le mette seul en face d’une victime incapable de se défendre, et qu’on lui dise : Frappe ! presque jamais il n’osera frapper.