Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 7-8.djvu/494

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Par cela même qu’elle avait la religion des sens, par cela qu’elle les raffinait, qu’elle les vénérait comme une manifestation adorable et divine, Adrienne avait, au sujet des sens, des scrupules, des délicatesses, des répugnances inouïes, invincibles, complètement inconnues de ces austères spiritualistes, de ces prudes ascétiques, qui, sous prétexte de la vileté, de l’indignité de la matière, en regardent les écarts comme absolument sans conséquence et en font litière pour lui bien prouver, à cette honteuse, à cette boueuse, tout le mépris qu’elles en ont.

Mademoiselle de Cardoville n’était pas de ces créatures farouches, pudibondes, qui mourraient de confusion plutôt que d’articuler nettement qu’elles veulent un mari jeune et beau, ardent et pur : aussi en épousent-elles de laids, de très-blasés, de très-corrompus, quitte à prendre, six mois après, deux ou trois amants ; non, Adrienne sentait instinctivement tout ce qu’il y a de fraîcheur virginale et céleste dans l’égale innocence de deux beaux êtres amoureux et passionnés, tout ce qu’il y a même de garanties pour l’avenir dans les tendres et ineffables souvenirs que l’homme conserve d’un premier amour qui est aussi sa première possession.