Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec économie, quoique fort honorablement d’ailleurs, d’où il suit qu’à cette heure monsieur votre père possède, soit en propriétés territoriales, soit en excellents placements sur première hypothèque, possède, dis-je, au moins, car je table au plus bas chiffre, quinze ou seize cent mille francs !

— Quinze cent mille francs ! — répéta Maurice ébahi, car jamais il ne lui était venu à la pensée de supputer le chiffre de la fortune paternelle, n’ayant aucun motif de se livrer à cette évaluation toujours quelque peu parricide.

La simplicité des goûts du jeune montagnard les rendait très-faciles à satisfaire alors qu’il était au Morillon, et, nous l’avons dit, il ne trouvait même pas l’emploi des cent francs que son père lui allouait mensuellement pour ses menus plaisirs. Maurice fut donc véritablement stupéfait du chiffre, à ses yeux énorme, auquel M. Léon faisait monter la fortune de M. Dumirail, et il répéta d’un air incrédule :

— Vous êtes dans l’erreur, monsieur ; il est impossible que la fortune de mon père soit aussi considérable que vous le dites.

— Je vous assure, monsieur, que le chiffre est encore au-dessous de la réalité ; nous sommes trop intéressés à être exactement renseignés pour n’avoir pas pris nos informations aux meilleures sources.

L’affirmation de M. Léon persuada Maurice. Il ne demandait d’ailleurs pas mieux que d’être persuadé, car, pensif, il se disait :

— Puisque mon père est si énormément riche, il ne pourra me refuser sans injustice, et ainsi qu’il me l’a promis, de quoi vivre honorablement à Paris. Antoinette avait donc cent fois raison en me disant que, pour moi, le nécessaire raisonnable était deux chevaux de selle, un groom, un palefrenier et un valet de chambre. Elle m’aime trop pour me conseiller des folies ; j’en aurais maintenant les preuves, si j’avais pu douter de la sagesse de ses avis. Elle est, par je ne sais quel mystère, si bien informée de tout ce qui me concerne, qu’elle connaissait sans doute le chiffre de la fortune de mon père ; sans cela, elle ne m’eût pas conseillé ces dépenses, qu’elle regarde comme nécessaires.

M. Léon, remarquant le silence du jeune provincial, reprit :

— Il paraît, monsieur, que la découverte du chiffre réel de la fortune de votre père vous surprend beaucoup ?

— Je l’avoue.

— En ce cas, vous hésiterez d’autant moins à accepter mes propositions.

— Quelles propositions, monsieur ?