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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/532

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sa vie a été déjà tourmentée. Oui, malgré son affection pour moi, elle doit souvent penser à Maurice ; cette conviction rend inexorable ma haine contre lui.

San-Privato s’interrompt, et ajoute, après réflexion :

— Maurice est toujours caché chez ta femme de chambre ?

— Oui ; il attend, pour sortir de sa retraite, l’époque où il sera majeur : ce jour arrive après-demain.

— La veille de mon mariage.

— Ah ! — fit madame de Hansfeld en frissonnant malgré elle ; — c’est dans quatre jours que tu te maries ?

— Ne te l’ai-je pas dit ?

— Tu ne me l’as pas dit.

— Revenons à Maurice… La ruine et sa hideuse fille, la misère, sont les deux plus sûres auxiliaires que je puisse donner à ma haine. Il faut donc au plus tôt ruiner ce gros garçon et t’enrichir de ses dépouilles. Le voici majeur ; les juifs que je lui ai détachés, parfaitement renseignés sur le chiffre de la fortune des Dumirail, accorderont d’abord à leur fils jusqu’à deux ou trois cent mille francs en avance d’hoirie ; mais il est d’ailleurs possible que prochainement il hérite d’une portion de la fortune dont il doit jouir un jour.

— Comment cela ?

— Sa mère est très-gravement malade ; sa santé, depuis quelque temps altérée par les angoisses de toutes sortes que lui causaient les escapades de Maurice, n’a pu, lors de la récente disparition de celui-ci, résister à ce dernier coup. Mon excellente mère, guidée par le charitable espoir de jouir un peu du désespoir des Dumirail, est allée les voir hier : elle a trouvé ma tante dans un état sinon désespéré, du moins très-alarmant ; d’où il suit que, si elle mourait, ses biens, qui composent à peu près le tiers de la fortune conjugale, reviendraient à Maurice : cinq ou six cent mille francs environ. Or, tu es habile, tu peux prélever deux à trois cent mille francs sur cet héritage ; la somme n’est point à dédaigner.

— Certes ; mais…

— Le moyen d’effectuer ce prélèvement ? Maurice te sachant millionnaire, rien de plus simple. Ainsi, par exemple, tu dis à ce gros garçon, avec l’expression de la plus tendre sollicitude : « Mon ami, de combien avez-vous hérité de votre mère ? — De six cent mille francs, te répond Maurice. — Eh bien ! alors, mon bien-aimé, vous allez me remettre trois cent mille francs en beaux billets de banque. » Étonnement de mon candide cousin. « — Oui, réponds-tu, vous allez, mon ami, me remettre trois cent mille