Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/90

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l’esprit égaré par une détestable influence, il se savait, il se croyait absous de tout ce que rêvait son imagination en délire. fra‑Girard contemplait avec une expression de triomphe sinistre Hervé prosterné ; soudain celui-ci se releva en proie à une sorte de vertige, se dirigeant d’un pas chancelant vers la grille de la chapelle. Le cordelier l’arrêta, et lui montrant l’image de la Vierge, vêtue d’une longue robe de drap d’argent brodée de perles et coiffée d’une couronne d’or qui scintillait dans la pénombre du sanctuaire à la clarté du lampadaire :

— Regarde l’image de la mère du Sauveur, et rappelle-toi les paroles du commissaire apostolique… Si l’horrible sacrilège dont il parlait était réalisable, il pourrait être absous par la lettre que tu possèdes !… S’il en est ainsi, et il en est ainsi, que deviennent ces remords, ces terreurs qui t’assiègent depuis trois mois ? depuis le jour où, éperdu de désespoir en lisant au fond de ton cœur une effrayante découverte, tu es venu me confesser tes misères, cédant malgré toi à l’irrésistible instinct qui te disait : « Dans la foi seule tu trouveras ta guérison. » Ton instinct ne te trompait pas ; en ce jour, tu es assuré de ta place au paradis quoi que tu fasses, Hervé… entends-tu ? quoi que tu fasses !

— J’entends… et depuis un moment, ô céleste miracle, dont je rendais grâce à la mère du Sauveur le front dans la poussière !… oui, depuis un moment, depuis que je possède cette cédule sacrée, ma conscience est redevenue sereine, mon esprit paisible, mon cœur est plein d’espoir, car je n’ai plus qu’à vouloir… et je veux !…

Hervé prononça ces mots avec une assurance tranquille ; il ne mentait pas, non, sa conscience était sereine, son esprit paisible, son cœur plein d’espoir, ses traits mêmes semblèrent soudain transfigurés, leur expression farouche et tourmentée fit place à une sorte de béatitude extatique, un léger coloris ranima ses joues, depuis si longtemps pâlies par le jeûne, par les macérations et par de terribles angoisses. Le moine souriait à cette métamorphose ; il prit Hervé