Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/105

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notre grand roi en particulière aversion ; cette pestilence républicaine et hérétique vous aura monté au cerveau… et qui sait… — ajouta la marquise avec un accent sardonique, — vous sortirez peut-être de céans… huguenote ?

— Du moins, je ne serais pas la seule huguenote de notre famille, — répondit mademoiselle de Plouernel, devenue soudain pensive, — je suivrais l’exemple de l’un de nos ancêtres, peu partisan de la royauté.

— Qu’est-ce à dire ?

— L’aïeul de mon père n’a-t-il pas été huguenot ? Le colonel de Plouernel, ainsi qu’on l’appelait alors, n’a-t-il pas pris part aux guerres religieuses du siècle passé, sous les ordres du grand Coligny dont il était l’un des plus vaillants officiers ?

— Hélas ! il n’est que trop vrai ! L’apostasie de ce Plouernel fut une tache pour notre famille. Il en était le puîné : lorsque son frère aîné, le comte et le vicomte son fils furent tués, aux premiers rangs de l’armée royale et catholique, lors de la bataille de La Roche-la-Belle contre les hérétiques rebelles au Saint-Père et à leur roi, le colonel huguenot devint ainsi forcément le chef de notre maison et hérita de ses immenses domaines ; son fils partagea malheureusement l’hérésie paternelle, mais du moins son petit-fils, qui fut mon père, est, grâce à Dieu, rentré dans le giron de l’Église catholique et dans l’observance de nos antiques traditions d’amour, de respect, de fidélité pour nos rois, contre qui ce colonel de Plouernel tira si vilainement l’épée ! Laissons donc ensevelis dans leur double félonie ces deux Plouernel, indignes de leur noble race…

— Il m’en coûte, ma tante, de vous contredire… mais j’affirme et puis vous affirmer que le colonel de Plouernel, par son courage, ses vertus, la noblesse de son caractère, a été peut-être le seul homme dont notre famille puisse justement s’enorgueillir.

— Ma chère, est-ce une gageure ? ou bien l’amour du paradoxe vous pousse-t-il jusqu’à l’extravagance ?