Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/133

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tille, fut plongé, par l’ordre du roi, dans l’un des cachots les plus malsains de cette prison, où ce malheureux languit pendant deux ans, au bout desquels il mourut. L’emprisonnement et la mort de son frère causèrent à madame de Plouernel une profonde affliction, et pénétrèrent son âme d’incurables ressentiments contre Louis XIV. Ce nouveau chagrin, ajouté à ses chagrins domestiques (le comte faisait élever ses deux fils loin de leur mère), la retraite où elle vivait, partageant son temps entre l’éducation de Berthe, la lecture et l’étude, mûrirent, fortifièrent, étendirent les facultés de la comtesse, puisque, hélas ! l’infortune est aussi une âpre, mais puissante éducatrice. La bibliothèque du château, jadis fondée par le colonel de Plouernel, se composait en partie d’ouvrages empreints de l’indépendance politique et religieuse de la réforme. La comtesse nourrit son esprit de la salubre et mâle substance de ces écrits, publiés en ces temps où les mœurs, les exactions, les forfaits inouïs des Valois soulevaient l’exécration des gens de bien, non-seulement contre ces abominables princes, mais contre la royauté elle-même, seule capable, disait-on, de faire éclore de pareils monstres. Aussi, les huguenots et les catholiques modérés, alors appelés les Politiques, inclinèrent-ils de plus en plus vers le gouvernement républicain, si brillamment inauguré naguère par les Provinces-Unies de Hollande, après leur vaillante révolte contre l’épouvantable domination de Philippe II. Ces écrits, dont se nourrissait l’esprit de madame de Plouernel, respiraient aussi l’horreur de la corruption des cours et cette rigidité de mœurs, cette élévation de pensées, cet inflexible amour du juste et du bien, en un mot, cette austère et ferme honnêteté dont témoignent eux-mêmes les ennemis déclarés des huguenots. Ces lectures exerçaient d’autant plus d’influence sur madame de Plouernel, qu’elles flétrissaient les causes de sa peine. N’avait-elle pas été frappée dans son affection fraternelle par l’omnipotente cruauté du despotisme royal ? et dans son bonheur conjugal par la corruption des cours, dont le comte son mari offrait l’un des plus scandaleux