Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/164

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rassemblé sous la tourelle de la prison où se donnait la torture, arrivent jusqu’aux oreilles de votre frère. Il entend ces imprécations : « — Mort au parti français ! — Mort aux complices de Louis XIV ! — Mort aux de Witt ! » — À ces cris, — me dit le greffier, — à ces cris, Corneille redresse la tête, élève vers la voûte de la prison son regard inspiré ; ses traits se transfigurent, resplendissent de sérénité ; un sourire divin effleure ses lèvres, sa force d’âme domine la torture du corps, et pendant que la foule redouble au dehors ses cris de mort, Corneille, d’une voix mâle et vibrante, récite ces vers d’Horace : 


« Justum et tenacem propositi virum
» Non civium ardor prava jubentium,
» Non vultus instantis tyranni,
…...» Mente qualit solida.[1] »

— Oh ! mon noble frère ! — s’écria Jean de Witt, interrompant le silence d’admiration qui avait succédé au récit de M. de Tilly, — tu le disais souvent : « La ténébreuse iniquité des méchants fait rayonner plus vivement encore les vertus du juste ! »

— Oui ! — reprit M. de Tilly, — et à ce moment même, ces belles paroles se sont justifiées, car le bourreau, les juges, saisis d’un respect involontaire pour la grandeur d’âme de Corneille de Witt, se regardent avec une sorte d’épouvante, comme si soudain l’affreuse absurdité de ce procès se manifestait à leurs yeux. Ils songent enfin que, sur la seule accusation d’un misérable noté d’infamie, ils font torturer l’un des plus grands citoyens de la république, l’un des vainqueurs de Chatam et de Sol-Bay ! Le juge, plus pâle que le patient, fit aussitôt cesser la torture, — me dit le greffier, puis

  1. « La fureur d’un peuple injuste, les menaces d’un souverain qui n’agit que par caprice, les plus cruels tourments sont incapables d’ébranler la fermeté de l’homme de qui la conscience est irréprochable. »
    …... Tous ces détails de la torture, si héroïquement subie par Corneille de Witt, qui eut le courage de dire ces vers au milieu de souffrances atroces, sont d’une scrupuleuse réalité. — Voir Basnage, Hist. des Provinces-Unies, Vol. II, p. 471.