Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« …… L’officier et les miliciens trouvèrent Corneille de Witt en robe de chambre, couché sur son lit, et son frère assis à son chevet, lui lisant l’Écriture sainte. Le grand pensionnaire tenta d’inspirer quelque sentiment d’humanité aux furieux qui venaient de s’introduire dans la chambre ; mais ils redoublèrent de menaces, forcèrent les deux frères à se lever et à sortir, leur disant qu’ils allaient les conduire à l’endroit où l’on exécutait les criminels. MM. de Witt se dirent adieu et s’embrassèrent avec une ferme tendresse au sommet de l’escalier qui aboutit au degré extérieur. Corneille de Witt, qui par suite des souffrances de la torture était très-faible, descendit appuyé sur le bras de son frère. Celui-ci, conservant un calme héroïque en un péril aussi imminent, exhortait doucement ceux qui l’emmenaient lui et son frère à ne pas commettre une grande iniquité : — Mes amis, — leur disait-il en continuant de descendre et soutenant toujours son frère, — nous sommes innocents, nous ne sommes pas traîtres à la république… Conduisez-nous où vous voudrez ; mais donnez nous des juges. — Marche, marche, — lui répondit l’officier en le poussant brutalement et le faisant trébucher sur les derniers degrés de l’escalier, — tu verras bientôt où l’on vous conduit, traîtres ! »

La grille servant de défense aux abords de la châtellenie avait été forcée ; une partie de la foule pénétra dans la première cour, qui séparait de la place la façade de la prison, où s’élevait un perron de plusieurs degrés conduisant à une porte ogivale ; l’ombre de sa voussure laissait seulement apercevoir les dernières marches de l’escalier intérieur que descendaient MM. de Witt. Lorsque ceux-ci apparurent sur la plate-forme du perron, pâles et brutalement poussés par les miliciens du Drapeau-Bleu, ces cris de haine et de vengeance triomphantes éclatèrent de toute part :

— Les voilà ! nous les tenons ! — À mort les de Witt ! — À mort les traîtres ! — À mort le parti français, complice de Louis XIV !