Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/198

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La physionomie de Salaün Lebrenn, d’abord empreinte d’une profonde surprise, devint de plus en plus triste, sévère. Le croissant embarras de son fils, le peu de solidité des motifs trouvés par lui, pour ainsi dire après coup, et qu’il invoquait à l’appui d’un brusque et tardif changement de résolution, démontraient évidemment qu’il cherchait des prétextes plus ou moins plausibles à une rupture, dont il cachait la cause réelle et soudaine, car la veille encore Nominoë avait passé une partie du jour près de sa fiancée, s’entretenant gaiement avec elle des préparatifs de la cérémonie nuptiale du lendemain…

— Mon fils, — reprit Salaün d’une voix ferme et grave, — pour la première fois de votre vie peut-être, vous vous abaissez devant moi jusqu’à la ruse, à l’équivoque, au mensonge ! !

— Je vous jure que…

— Vous n’osez me regarder en face, et vous balbutiez je ne sais quels prétendus motifs de rupture dont vous avez honte ! car, grâce à Dieu, vous êtes si peu habitué à feindre, à mentir, que votre trouble trahit la révolte de votre conscience contre vos paroles.

Salaün Lebrenn, prenant en commisération l’accablement de son fils, adoucit la sévérité de son accent et reprit : — Nominoë… c’est à ta loyauté inaltérable que je m’adresserai, certain d’être entendu de toi. Je veux le croire ; je le crois, tes scrupules, si tardivement exprimés, sont sincères… Mais, — ajouta Salaün en regardant fixement son fils, — tu ne me dis pas tout…

— Que pourrais-je vous cacher ? — répondit le jeune homme, rougissant malgré lui et baissant les yeux devant le regard pénétrant de son père. — Je vous ai avoué que, par une faiblesse regrettable, lorsque je me suis aperçu que Tina ne serait jamais pour moi qu’une sœur, je n’ai pas eu le courage…

— Soit… tu n’as pas alors eu le courage de détruire l’illusion de cette douce enfant, qui se croyait, qui se croit tendrement aimée de toi. J’admets cela ; mais, dis-moi, ce courage, dont tu as manqué alors que votre mariage, projeté depuis nombre d’années, n’était pas