Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/199

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du moins formellement convenu, arrêté, ce courage, tu l’aurais aujourd’hui, à cette heure que, confiante dans ta foi, ta fiancée t’attend pour aller au temple ?…

Nominoë baissa la tête. Un soupir contenu souleva sa poitrine. Il resta muet. Son père reprit :

— Tu crains, dis-tu, de ne pas rendre Tina aussi heureuse qu’elle le mérite ? tu crains enfin de la plonger dans de mortelles angoisses, dans le deuil peut-être, si demain l’insurrection éclate en Bretagne ? À cela, je réponds : Tu serais un homme au cœur égoïste et dur, que je te croirais encore incapable de rendre malheureuse une angélique créature qui t’aime de toutes les forces de son âme. Mais tu es… ce que tu es ; aussi, j’en jure Dieu, quelle que soit la nature de ton affection pour ta femme, elle n’aura rien à envier aux plus heureuses…

— Mon père, votre certitude à ce sujet…

— … Est complète, absolue. Est-ce que sans cela je ne serais pas le premier à désirer, à t’imposer, si tardive qu’elle soit, la rupture de cette union ? Non, non, mon enfant, j’ai plus de confiance en toi que tu n’en as toi-même… ta femme sera heureuse, j’en suis certain. Reste cette objection : l’imminence d’un soulèvement auquel nous prendrons part, et conséquemment les angoisses de Tina lorsqu’elle te saura engagé dans cette lutte. J’espère, comme toi, que cette fois nos prévisions ne seront pas trompées ainsi que si souvent elles l’ont été depuis notre voyage à La Haye… et qu’enfin ce malheureux peuple, poussé à bout par l’excès de ses maux, sortira de son inertie et prendra les armes ! En ce cas, oui, Tina ressentira de cruelles anxiétés. Elle ne possède pas la fermeté virile de ces femmes qui, le front calme, disent à leur mari : — « Le devoir t’appelle, va te battre… si tu meurs, mon deuil éternel sera glorieux ; si tu reviens blessé, je t’honorerai davantage encore. » Non, Tina n’est pas de ces femmes-là…

— Je ne le sais que trop… aussi, vous ai-je exprimé ma crainte