Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et bientôt, dans quelques moments, au lieu de voir paraître au loin, sur le chemin, le cortège nuptial, précédé du joyeux Baz-valan, tenant le rameau de genêt fleuri à sa main, elle le verra s’avancer triste, seul et tenant le rameau brisé… La pauvre enfant comprendra ce symbole, la ruine de son unique espoir : tu l’abandonnes, tu ne la juges plus digne d’être ta femme… Oh ! elle ne se plaindra pas, aucun mot de reproche ne sortira de ses lèvres ! Elle tentera même d’apaiser la douloureuse indignation de son père, lui disant : — « Nominoë est maître de son cœur et de ses volontés : il m’a aimée, il ne m’aime plus. J’étais sa promise, je ne serai pas son épousée. Qu’ai-je fait pour être délaissée ?… Je l’ignore et me résigne ; qu’il soit heureux… Enfants, nous avons dormi dans le même berceau ; plus tard, il a toujours été l’ami de ma jeunesse ; qu’il soit heureux, c’est mon seul vœu, mon dernier vœu !… » — En prononçant ces mots, — ajouta Salaün, profondément ému, les larmes inonderont le pâle et doux visage de Tina !

— Oh ! mon père… vous me navrez !

— … Les larmes inonderont le pâle et doux visage de Tina ! — poursuivit Salaün Lebrenn, sans s’arrêter à l’interruption de son fils. — La pauvre enfant dénouera, silencieuse, son ruban de fiançailles, dévêtira sa modeste robe de noces, et, comme hier, s’occupera des travaux de la maison, reprendra son rouet… tout cela sans une parole amère ; non, toujours angélique et résignée, elle souffrira sans se plaindre. Cette souffrance durera plus ou moins, et puis… — ajouta Salaün, dont la voix s’entrecoupa de larmes, — et puis, avant la fin de ce mois, peut-être même avant la fin de cette semaine, les gens du bourg de Mezléan se diront : — « Vous savez, la petite Tina ! la fille de Tankerù-le-Forgeron ?… Eh bien ! elle est morte ! »

À ces derniers mots, prononcés par Salaün avec une simplicité poignante, Nominoë ne put retenir ses larmes. La bonté native de son cœur triompha de ses dernières irrésolutions, il s’écria :