Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/207

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s’est noyée… — murmura Tina en frissonnant. Puis elle reprit : — Dieu nous envoie les présages pour nous avertir des malheurs ! … Noir doit être mon ruban de fiançailles, grand’mère… noir il doit être. Nominoë ne vient pas ; l’heure est passée… il ne viendra plus…

La crédulité aux présages est si générale en Bretagne, que, si étrange, si déraisonnable qu’elle fût en apparence, la persistance des funestes pressentiments de Tina impressionna ses compagnes. Cependant, essayant de la rassurer, l’une d’elles, Janik, lui dit en s’efforçant de sourire :

— Que la gentille tourterelle blanche soit ton image, j’y consens, petite Tina ; mais voir ton fiancé Nominoë, lui si beau, si bon, si amoureux de toi… oui, le voir dans ce vilain méchant corbeau… fi ! petite Tina, fi !

— Janik a raison, — reprit l’aïeule, — ton cousin t’aime depuis ton enfance, vous êtes fiancés il y a longtemps. Hier encore il était ici… Ne t’a-t-il pas dit en nous quittant : « — À demain, ma douce Tina. Insensés sont ceux-là qui souvent cherchent le bonheur bien loin, alors qu’ils l’ont près d’eux… et pour moi ce bonheur c’est d’unir mon sort au tien. À demain, ma douce Tina. » — Et après de telles paroles, folle enfant, et pour un retard d’une heure au plus dans l’arrivée du cortège nuptial, tu vas rêver creux et nous parler de rubans noirs, et de corbeaux, oiseaux de mort !

— Dans le corbeau, je vois le mauvais sort, grand’mère, — reprit Tina, de plus en plus accablée par ses invincibles pressentiments et les yeux toujours fixés sur la route déserte de Mezléan ; — le mauvais sort qui me menace et me punira peut-être.

— Te punir ! — répéta l’aïeule, non moins surprise que les compagnes de la fiancée. — Et quel mal as-tu jamais fait à personne, innocente et chère créature ?

— J’ai eu l’orgueil de me croire aimée de Nominoë. Hélas ! je le sais, je suis sa cousine ; nous avons dormi, enfants, dans le même berceau ; mais je ne suis qu’une pauvre ignorante fille, tandis que