Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/208

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Nominoë est savant et bien disant comme un clerc. Il a vu les pays lointains. Lui et mon oncle Salaün sont les meilleurs marins de Vannes. Ils ont un vaisseau à eux ; ils sont riches comparés à mon père. Il ne possède que sa forge et quelques louis d’or dont il s’est dépouillé pour moi… — Mais s’interrompant, Tina reprit avec un accent d’amer reproche contre elle-même : — Ah ! ce que je dis là est mal… c’est faire injure à Nominoë. Lui, me délaisser par avarice ! non, non, son cœur est trop généreux ! Mais voyant combien je l’aimais, il aura eu compassion de moi ; il aura craint de me faire de la peine en ne m’aimant pas… Il est si bon ! Oui, cette nuit, songeant qu’il allait me prendre aujourd’hui pour sa femme, il se sera aperçu qu’il m’aimait seulement par pitié d’âme… et…

— Nominoë… faire un tel affront… à toi ! à ton père ! à ta famille ! — s’écria l’aïeule en interrompant Tina. — Mais tu perds donc la raison, chère fille ! Quoi ! te figurer de si cruelles choses parce que ton fiancé tarde un peu à venir ?

— Hé, mon Dieu ! de ce retard je devine la cause, — reprit Janik, — c’est certainement la faute du Baz-valan. Ce Paskou-le-Long, le plus long et le plus bavard des tailleurs, aura voulu composer un nouveau chant pour ta noce, il l’apprend par cœur… De là le retard !

Soudain Tina, qui, insensible aux consolations que son aïeule et ses compagnes tentaient de lui donner, ne cessait d’attacher son regard fixe et noyé de larmes sur la route, jusqu’alors déserte, de Mezléan… soudain Tina se redresse, se lève, pousse un léger cri, et transfigurée, rayonnante, étend les bras vers un objet lointain ; mais, bouleversée par le brusque revirement de la désespérance à la certitude du bonheur, elle pâlit, chancelle et s’appuie sur son aïeule, qu’elle embrasse avec effusion en murmurant d’une voix étouffée par la joie : — Le voilà ! le voilà !…

Les compagnes de la fiancée se pressent à la fenêtre et voient au loin les premiers rangs du cortège nuptial descendant la pente de la