Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/203

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portes du salon. À cet instant, l’une des servantes de madame Desmarais accourt effarée en s’écriant :

— Madame ! ah ! madame… Entendez-vous… c’est le canon !…

— Grand Dieu ! — s’écrie madame Desmarais pâlissant, — et mon mari !

— Rassure-toi, maman… mon père, heureusement, est à Versailles, où il siége à l’Assemblée…

— C’est vrai, chère enfant, j’oubliais cela… Mais si l’on se bat à Paris… hélas !… qui sait ce qui se passe à Versailles !…

Et s’adressant à la servante, tandis qu’aux détonations sourdes et fréquentes de l’artillerie se joignait dans un extrême lointain la vive crépitation de la fusillade, madame Desmarais ajoute :

— Mon Dieu !… mon Dieu !… ces coups de canon répétés… l’on se bat donc avec acharnement dans Paris !

— Je le crois bien, madame… c’est une vraie bataille ! — répond Gertrude tremblante. — Il paraît que les faubourgs attaquent la Bastille… On a vu passer ce matin au point du jour notre voisin M. Lebrenn le serrurier armé d’un sabre et d’un fusil qu’il chargeait en marchant… Il était à la tête d’un rassemblement et criait : « Aux armes, citoyens… Aux armes… À la Bastille… À la Bastille… À bas la cour… À bas les traîtres ! Vive la nation ! »

— Ah ! le malheureux… il est allé se faire tuer !… je ne le reverrai plus !… — s’écrie Charlotte se levant ; et cédant à un mouvement involontaire, elle s’élance vers la porte, et presque délirante elle ajoute : — Jean… je t’en supplie… ne risque pas ta vie… et…

La jeune fille, brisée par l’émotion et par l’épouvante, n’achève pas. Elle pâlit, ses yeux se ferment et elle tombe évanouie entre les bras de sa mère et de la servante.


Quelque temps s’est écoulé depuis que Charlotte Desmarais s’est évanouie, effrayée des dangers auxquels s’exposait Jean Lebrenn en