Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/112

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— À mort La Fayette !

Ni La Fayette, ni aucun de ses officiers ne fut atteint et ne pouvait l’être ; cependant au même instant, sans déployer le drapeau rouge, sans que Bailly, le maire de Paris, je l’affirme encore, eût fait une seule sommation, une compagnie de la garde bourgeoise engage le feu… mais en tirant en l’air dans la direction du talus où se tenaient Lehiron et sa bande, qui prennent la fuite et disparaissent derrière le revers du glacis. Cette première fusillade, quoique inoffensive, jette néanmoins dans la multitude une terreur inexprimable, et presque aussitôt nous sommes criblés de feux de peloton, meurtriers cette fois… car je vois, non pas tomber… la masse qui servait de point de mire aux gardes nationaux était trop compacte… mais je vois blêmir sous le sang qui coule à flots de son front troué le grand vieillard placé près de moi. Il se cramponne à mon bras par un mouvement convulsif, et sa tête se renverse sur mon épaule… Presque en même temps une jeune femme qui, grâce à un effort surhumain, tenait son fils, âgé de quatre à cinq ans, élevé à bras tendus au-dessus de sa tête, afin qu’il ne fût pas étouffé par la pression de la foule, sent son enfant se roidir, puis s’alourdir… il venait d’être atteint d’une balle à travers le corps. Des cris perçants ou de sourds gémissements poussés autour de moi me prouvaient que d’autres coups avaient porté… La fusillade continue… un effroyable mouvement de recul et de sauve qui peut se produit dans la multitude entassée ; elle espère échapper à cette boucherie, obéit à l’irrésistible élan du désespoir, et afin de fuir l’on ne sait où… car les feux se croisent, et l’on est cerné de tous côtés… l’on se culbute, l’on s’écrase. Au milieu de cet effroyable pêle-mêle, je perds l’équilibre et tombe sous le cadavre du vieillard jusqu’alors soutenu debout par l’entassement de mes voisins… Ce cadavre me sauva la vie… sans lui, j’étais broyé sous les pieds de la foule. Cependant et quoique, par un mouvement instinctif, je me fusse en tombant jeté la face contre terre, je reçois sur la tête de si violentes atteintes que mon sang coule par de nom-