Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

breuses plaies… Je me sens défaillir, et avant de perdre complètement connaissance, voici ce que je vois… Un large espace, où restaient seulement épars les blessés et les morts, hommes, femmes, enfants, me séparait du front de bataille de la garde bourgeoise ; elle rechargeait ses armes, et à travers la fumée de ses dernières décharges, qui se dissipait lentement, j’aperçois à droite de l’un des bataillons un officier supérieur brandissant son épée et vociférant :

— Eh bien ! canailles de sans-culottes ! forcenés jacobins ! demanderez-vous encore la déchéance et la république ? — Et se tournant vers les grenadiers, l’officier ajoute : — Vive la constitution ! Vive le roi constitutionnel ! À bas la république ! Vive l’Assemblée nationale !

Ces cris, répétés par la garde bourgeoise, duraient encore, lorsque tout à coup elle s’ouvre et démasque plusieurs canons en batterie, braqués sur la multitude effarée, qui, à deux cents pas de là, s’efforçait de fuir entassée… éperdue… Un canonnier approchait de l’une des pièces une mèche enflammée, lorsque soudain le général La Fayette fait faire un bond énorme à son cheval, se place intrépidement à la gueule du canon, et, menaçant de son épée l’artilleur, lui crie d’une voix indignée, palpitante :

— Malheureux ! !

À cet instant où La Fayette, par un mouvement généreux, atténuait, s’il est possible… sa participation à cette exécrable journée, je perdis complètement connaissance.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque je revins à moi, dix heures du soir sonnaient à l’horloge de l’École militaire ; la lune, rayonnant au milieu d’un ciel sans nuage et brillant d’étoiles, inondait le champ de Mars de sa douce clarté. La fraîcheur nocturne me ranima ; je me dégageai de dessous le cadavre du vieillard qui m’avait empêché d’être écrasé. Je ressentais dans tous mes membres contusionnés, meurtris, moulus, de vives douleurs ; elles me rendirent d’abord incapable du moin-