Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/114

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dre mouvement, et m’empêchèrent de me lever… Ma première pensée lucide fut pour ma sœur… Quelles devaient être ses angoisses ! Elle me savait au nombre des pétitionnaires, et probablement instruite du massacre par le bruit public… mon absence prolongée lui causait sans doute des transes mortelles… Je voyais çà et là, au loin, dans diverses directions, les lumières errantes de plusieurs fallots isolés, à l’aide desquels des hommes, des femmes, qui, ayant d’abord fui éperdus le théâtre du carnage, revenaient chercher, reconnaître parmi les morts et les mourants ceux-là qu’ils avaient laissés derrière eux…

Soudain, à peu de distance de moi, je remarque une femme d’une taille svelte, élevée, vêtue d’une robe blanche. Cette femme ne portait pas de fallot, elle allait et venait précipitamment ; puis s’arrêtant et se baissant, elle contemplait chaque victime, semblait interroger leurs traits… Mon cœur bondit… un pressentiment invincible me dit que cette femme est Victoria… Elle aperçoit de loin le corps du vieillard auprès de qui j’étais étendu… s’approche… plus de doute…

— Ma sœur ! — lui criai-je d’une voix affaiblie, — me voici ! !

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Victoria, instruite par la rumeur publique du massacre du champ de Mars, et ne me voyant pas de retour à la maison vers neuf heures du soir, ne douta plus que je fusse mort ou blessé : elle mit dans un panier du linge, un flacon d’eau-de-vie et accourut au champ de Mars, où elle me retrouvait enfin après plusieurs lugubres recherches ; sa présence, ses soins empressés, quelques gorgées d’eau-de-vie ranimèrent mes forces. Victoria étancha le sang qui coulait encore faiblement des plaies que j’avais reçues à la tête, banda ces blessures, m’offrit son bras, et, appuyé sur elle, je me dirigeai vers l’issue du Gros-Caillou… Nous avons passé près de l’estrade où s’élevait l’autel de la Patrie, à l’abri duquel grand nombre de personnes avaient cru trouver un refuge… Vain espoir… les feux s’étaient croi-