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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/225

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la révolution perdue, si nous ne mettons enfin terme aux scélératesses de nos ennemis ; il faut faire peur aux royalistes. »

— Vive Danton ! — Oui, oui, frappons nos ennemis ! — Faisons peur aux royalistes !

— Donc, citoyens, aux prisons d’abord, et après… aux frontières ! Vive la nation ! vive la république ! — s’écrie le jeune peintre avec énergie. Et il descend du banc au milieu des acclamations des spectateurs en délire.

— Aux prisons ! aux prisons ! — À mort les prêtres ! — À mort les aristocrates !

J’étais plongé dans l’épouvante et le désespoir. Je ne pouvais plus en douter, l’opinion publique, en proie au vertige d’une lâche panique, voyait dans l’extermination en masse une mesure de salut public. Les sections députaient leurs délégués à la commune pour lui notifier l’urgence de purger les prisons. La commune, par l’organe de Tallien, approuvait le massacre ; enfin, Danton l’approuvait aussi ; Danton, ministre de la justice, élu par l’Assemblée ! Que dire, enfin ? Le jeune artiste, d’une figure si belle et si douce, éclairé par l’éducation, par la culture des arts, le voulait aussi, ce massacre… Comment pouvais-je espérer lutter contre de pareilles convictions ? Je l’essayai pourtant, n’ignorant pas, d’ailleurs, que je risquais ma vie ; car, en ces moments d’effervescence et d’entraînement, lutter contre le vœu général, c’est s’exposer à passer pour un traître : peu m’importait. Je m’élance sur le banc d’où le jeune peintre venait de descendre, et alors qu’un mouvement spontané de la foule allait la disperser dans les diverses directions des prisons, je m’écrie, les larmes aux yeux, et d’une voix où palpitaient toutes les angoisses de mon âme :

— Citoyens ! au nom de la patrie ! au nom de la révolution ! un dernier mot, je vous en adjure, un seul mot encore !

Ma pâleur, les terribles appréhensions qui se lisaient sans doute sur mes traits, mes larmes, mon accent suppliant, impression-