Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/273

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d’anéantir les ennemis de la patrie, qui conspiraient son envahissement par l’étranger, qui conspiraient le massacre des femmes, des enfants, des vieillards ! Et on a d’abord frappé, croyant obéir à une nécessité fatale, puis l’appétit du meurtre est venu avec le meurtre ; puis, si cela se peut dire : sa dépravation monstrueuse ; de sorte que l’on est entré dans la prison croyant y remplir, avec un calme inexorable, le terrible sacerdoce de justicier du peuple… et l’on est devenu un cannibale ivre de carnage !

Et voilà pourquoi, fils de Joël, quelle que soit la sainteté de la cause qu’elle invoque, la justice populaire, substituée à l’action de la loi, dégénère forcément, infailliblement en excès tellement atroces, que l’on oublie les forfaits des victimes pour maudire la férocité de leurs bourreaux. Il en a été ainsi du jugement porté sur le massacre des prisons ; et cependant, vous le voyez, les écrivains royalistes, échappés à ce massacre, sont eux-mêmes unanimes sur ces circonstances d’une si éclatante signification !

La joie délirante des exécuteurs couverts de sang, lorsque l’innocence d’un prisonnier était proclamée ;

La scrupuleuse probité des exécuteurs.

De ces faits, que conclure ?

Que l’immense majorité des septembriseurs, ainsi qu’on les a depuis appelés, étaient d’honnêtes gens, oui, d’honnêtes gens égarés par une déplorable panique, mais fermement convaincus d’accomplir un devoir patriotique, une mesure de salut public, en purgeant les prisons, devoir effrayant, qui coûtait tant à leur générosité naturelle, qu’ils éclataient en transports de joie lorsqu’ils avaient à épargner un innocent

Et pourtant ces hommes généreux, intègres, poussant le scrupule de la probité jusqu’à demander « — la permission de chausser les souliers d’un mort, » — au moment où ils partaient pieds nus pour la frontière ; ces hommes, une fois en proie à l’ivresse du sang, ont commis d’exécrables barbaries… Quel terrible enseignement,