Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/325

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presque furtif, à demi voilé par la fumée de la bataille, au spectacle auguste que la Convention va offrir au monde, à la face de Dieu et des hommes ! Un peuple, calme dans sa souveraineté, accusant, jugeant et condamnant, au nom de la loi, le criminel qui fut son roi… Ah ! citoyens, préférons toujours au poignard de Brutus le glaive de la justice ! Ce n’est pas à l’égoïsme du meurtre privé de faire dans l’ombre justice du tyran, non ! Il doit être frappé au nom de tous, aux yeux de tous, et pour ainsi dire par tous ! à la grande lumière de la place publique ! La hauteur de son trône mesure la hauteur de son échafaud ! »

— Bravo ! mon cher élève ! — s’écrie M. Desmarais, — je n’aurais pas mieux trouvé !

— Ce qui double le mérite de votre élève, mon cher collègue, c’est que sa modestie égale son patriotisme, et, ainsi que l’a fort bien dit Robespierre, aux applaudissements universels, en montant à la tribune après Jean Lebrenn : « — Cet éloquent jeune homme qui vient de vous parler le langage du philosophe, de l’historien et de l’homme d’État, travaille dix heures par jour à son rude métier de serrurier, qui suffit à ses besoins. Ô Rousseau ! maître chéri et vénéré, tu l’avais devinée cette digne, forte et noble nature de l’artisan éclairé ; Jean Lebrenn, citoyens, c’est l’artisan de l’avenir.

— Quel éloge dans la bouche de Robespierre ! — dit l’avocat d’un air pensif, — quel éloge !

— Aussi vous dis-je, cher collègue, que les quelques mots prononcés par Robespierre avec entraînement ont couronné, consacré l’ovation de Jean Lebrenn aux Jacobins, ovation à laquelle il s’est modestement dérobé en retournant chez lui. Et, sur ce, bonsoir mon cher Desmarais, je regrette de n’avoir pas mieux réussi dans la mission de confiance dont vous m’aviez chargé auprès de Saint‑Just. Il vous répétera d’ailleurs lui-même demain, à la Convention, combien il a été sensible à votre offre, et pour quelles raisons impérieuses il est obligé de les décliner.