Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/334

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étrange rencontre ! ces deux jeunes gens s’aimaient en secret ! En vérité, c’est tout un roman.

— Quoi ! ma fille, vous aimiez notre jeune ami, il vous aimait ! qu’entends-je — avait repris l’avocat, simulant une profonde surprise. — Vous vous aimiez, et vous me cachiez cet amour ! Quelle pouvait être la cause de cette dissimulation, dont je suis navré ? Cette cause, je ne puis la deviner. Ce n’était certainement point votre crainte de me voir désapprouver ce mariage au point de vue de la prétendue distinction des classes ; vous m’avez assez fréquemment, ma fille, entendu professer mes principes à ce sujet !

— Oh ! oui, mon père, — put répondre Charlotte, sans mentir cette fois, car l’avocat, s’il ne pratiquait pas ces principes égalitaires, il les invoquait sans cesse. — Oh ! oui, mon père, je vous ai entendu maintes fois répéter qu’il n’y avait qu’une classe : celle des honnêtes gens, des bons citoyens, et que vous ressentiez un profond dédain pour de vains avantages dus au hasard de la fortune et de la naissance…

— Vous voyez, cher collègue, dans quels principes ma fille est élevée par moi ? — dit l’avocat d’un air triomphant à Billaud‑Varenne, de plus en plus sous le charme de Charlotte. — D’où vient donc, ma fille, — poursuivit l’avocat, — d’où vient donc que vous et notre ami Jean Lebrenn vous m’avez fait un secret de l’amour que vous ressentiez l’un pour l’autre ? Est-ce que je n’aurais pas été heureux de consentir à votre mariage ? Est-ce que… et ce souvenir me revient maintenant… est-ce que le jour immortel de la glorieuse prise de la Bastille, alors que je félicitais si chaleureusement ses héroïques vainqueurs, vous ne m’avez pas entendu dire au père de Jean Lebrenn, à cet infortuné vieillard, victime du despotisme : « Ah ! vous me faites connaître l’envie ! que n’ai-je un fils tel que le vôtre ? » Ces paroles, vous les avez entendues, Charlotte ?

— Oui, mon père.

— En ce cas, d’où vient donc, je vous le demande encore, votre